by FEUSSOM
Published on: Dec 14, 2005
Topic:
Type: Opinions

La 6ème conférence ministérielle de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) se déroulera à HongKong du 13 au 18 décembre prochain. Cette conférence a pour objectif essentiel d’accélérer les processus de libéralisation des marchés dans de nombreux secteurs. Sont ainsi notamment concernés les services dans le cadre de l’Accord Général sur le Commerce des Services (AGCS), l’Agriculture et l’accès aux marchés non agricoles (NAMA).

Il s’agit donc de poursuivre la transformation de toutes les activités humaines en marchandise. Ces orientations auront pour conséquence de détruire les agricultures paysannes et les services publics, d’amoindrir les droits des salariés et de donner le champ libre aux multinationales. Si une régulation du commerce mondial est nécessaire, elle ne peut se faire sous l’égide d’une généralisation du libre-échange qui profite avant tout aux multinationales des pays du Nord.
La tâche s’annonce « complexe », de l’aveu même de l’association Max Havelaar France, qui tente de relever le défi du commerce équitable dans la production du coton africain. Elle s’annonce même insurmontable en Afrique de l’Ouest : la production du coton y est soumise à une vaste libéralisation, avec des menaces d’asphyxie financière des États par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international. De plus, les paysans africains doivent contrer l’offensive de multinationales qui souhaitent imposer du coton transgénique. C’est dans ce contexte international que l’association a décidé de promouvoir sur le marché français de nouveaux produits (voir ci-dessous), dont le coton est issu du commerce équitable. Pour la période 2004-2005, quelque 3 300 producteurs de trois pays d’Afrique de l’Ouest (Mali, Sénégal, Cameroun et prochainement le Burkina Faso) ont récolté un coton qui doit répondre à des normes sociales et environnementales, comme l’organisation démocratique des coopératives, mener une agriculture raisonnée et donc préconiser « l’interdiction d’achat de semences OGM », indique Simon Pare, responsable du développement chez Max Havelaar France, alors que « les États-Unis poussent les producteurs à utiliser des semences génétiquement modifiées afin d’augmenter les rendements », pointe la documentation fournie par Max Havelaar.

La démarche de Max Havelaar apparaît cependant moins claire qu’il n’y paraît. La filière coton équitable présentée par l’association doit en grande partie son existence à un puissant partenaire du nom de Dagris, un holding agro-industriel français en voie de privatisation, géant de la production cotonnière en Afrique subsaharienne. L’industriel du coton explique qu’un accord de partenariat a été signé en octobre 2003 et qu’il est chargé « de mener les actions en amont du projet, notamment auprès des organisations de producteurs de coton et des sociétés cotonnières africaines ». La véritable stratégie consiste surtout à accompagner les libéralisations et à prendre le contrôle majoritaire des sociétés cotonnières privatisées ou en cours de privatisation. Des missions ont ainsi été menées dans les propres filiales du groupe, telles la Sodefitex au Sénégal, la Sofitex au Burkina Faso et la Compagnie malienne de développement des textiles (CMDT) au Mali.

La même année, le partenaire de Max Havelaar pour la filière coton équitable signe également un partenariat avec le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad). Celui-ci porte notamment sur les cultures génétiquement modifiées. Et, pendant que la filière coton équitable est mise en oeuvre, Gilles Peltier, PDG du groupe Dagris, de passage à Ouagadougou mi-juin 2004, « insiste pour que l’introduction des organismes génétiquement modifiés se fasse dans la transparence, au sein d’un cadre interprofessionnel associant les paysans, les États et les firmes internationales », indique le Journal de l’Afrique en expansion (août 2004). Mais il n’est nullement question d’OGM lorsqu’en janvier 2005 le ministère français des Affaires étrangères présente officiellement les partenaires du coton équitable, Dagris, Max Havelaar et le Centre de développement de l’entreprise, et annonce qu’il soutient ce projet pour un montant de 610 000 euros. Pourtant, quelques semaines plus tard, dans une tribune du Monde (3 février 2005), Gilles Peltier livre ses priorités : « Avec les OGM, réduire la fracture agricole mondiale. » Les lecteurs apprennent que « gouvernants » et « opérateurs économiques » doivent intensifier leurs efforts, notamment par « l’introduction progressive de variétés de coton génétiquement modifié, dont les premiers essais ont commencé au Burkina Faso ».<

Lors de la présentation officielle du coton équitable à Paris, l’anti-OGM Max Havelaar s’est bien gardé d’évoquer le vrai rôle de son puissant partenaire en matière de coton transgénique. Il s’agit pourtant là d’un enjeu d’importance, celui de la souveraineté alimentaire. L’introduction d’OGM annonce en effet une nouvelle dépendance pour l’Afrique de l’Ouest. « Les variétés OGM viennent d’ailleurs, des multinationales, et les producteurs devront les acheter, alors qu’actuellement ils disposent gratuitement des variétés locales. Les parcelles sont réduites, de 1 à 4 hectares, et proches les unes des autres. Le coton OGM risque de contaminer celui qui ne l’est pas », explique Ibrahim Malloum, président de l’Association cotonnière africaine.

Ce combat contre les OGM est mené au Mali par la Coalition pour la sauvegarde du patrimoine génétique. Favorable aux OGM, le groupe Dagris a aussi un passé colonial. L’ancienne Compagnie française pour le développement des fibres textiles (CFDT) a été l’un des piliers des réseaux de la « Françafrique » de Jacques Foccart, longtemps éminence grise des Affaires africaines. « Ce n’est pas la Françafrique la plus dure, commente François-Xavier Verschave, mais cela a été un outil néocolonial important qui a pactisé en son temps avec les dictateurs en place, au Mali, au Sénégal, au Cameroun et au Niger. Dagris, c’est un peu comme la filière cacao, un système de pompage de la rente. » Max Havelaar a, pour sa part, pactisé avec un bien étrange partenaire.


Les chiffres du coton équitable

On trouvera dans les catalogues de vente par correspondance, par exemple dans celui de la Camif, des chaussettes Kindy avec le logo Max Havelaar « garanti coton équitable », et une étiquette qui mentionne que le coton a été « produit et commercialisé conformément aux standards internationaux du commerce équitable ». On pourra aussi porter des tee-shirts Célio, Eider, Armor Lux et La Redoute avec la même étiquette, ou acheter du linge de lit Hacot & Colombier et du coton hydrophile chez Leclerc et Cora, parmi leurs produits génériques. Le commerce équitable revendiqué par Max Havelaar se pratique avec les grandes marques, les grands distributeurs, dans une stratégie commerciale qui nécessite d’importants volumes et moyens. L’association a ainsi reçu 610 000 euros du ministère des Affaires étrangères, sur un budget total de 5,6 millions d’euros issu d’un fonds social prioritaire (FSP), et 500 000 euros du Centre pour le développement de l’entreprise, une institution de l’Union européenne. Un tel financement n’a pu se faire sans l’appui de l’agro-industriel Dagris, qui a le contrôle financier de la plupart des sociétés cotonnières d’Afrique de l’Ouest. En outre, l’association Max Havelaar, qui accuse un retard de paiement des fonds du FSP de 637 000 euros, percevra une redevance au taux de 2 % du prix de vente. « Les subventions reçues vont clairement aider Max Havelaar France à résoudre ses problèmes de trésorerie, mais les financements reçus pour le coton sont et seront utilisés pour les frais engendrés par le projet coton dans toutes ses formes », explique Simon Pare, responsable développement de Max Havelaar France. Ces fonds seront en partie utilisés pour la communication destinée à soutenir les ventes. Ces premiers financements de Max Havelaar dans une filière non alimentaire ne devraient générer cette année qu’un supplément de revenu de 183 000 euros, « par rapport au commerce conventionnel », pour 3 300 producteurs parmi les plus pauvres de la planète, « une comparaison absurde », estime Simon Pare. Reste que dans son rapport financier pour 2003 (les chiffres de 2004 n’étaient pas encore disponibles), Dagris, principal partenaire de Max Havelaar France, présente un résultat net positif de 2,8 millions d’euros. Mais, là aussi, la comparaison peut paraître absurde.
@jm

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