by Le Réseau global des jeunes engagés
Published on: Jan 24, 2005
Topic:
Type: Interviews

ENTRETIEN du GYAN France avec Mark McNaught pour une série d’articles politiques pour le magazine « Panorama ».

Mark McNaught, d’origine de l’Université de Texas, a récemment soutenu sa thèse intitulée L’Orthodoxie politique américaine à l’Université Montesquieu Bordeaux IV.

Le rôle de la religion dans les élections présidentielles américaines et sur la vie civile aux Etats-Unis


1. Les élections américaines de 2004 – Quel est le rôle jouée par la religion dans le discours politique des candidats politiques et sur les positions prises par les partis politiques ?

Les deux candidats se sont servis de la religion, mais de manière différente. Il faut préciser qu’aux Etats-Unis, la plupart des électeurs attendent que les hommes politiques démontrent leur engagement à la religion, quelle que soit leur dénomination. Cela est censé démontrer que le candidat possède une « base morale » et qu’il est guidé par une force supérieure. Cela rassure les électeurs. La politique de John Kerry est plutôt laïque, comme le parti démocrate, mais celui-ci était toujours obligé d’exprimer sa foi devant l’électorat. Il parlait de sa foi catholique en termes de sa « pierre » qui est l’ancre sa moralité. En dehors de cette déclaration floue, il ne parle pas souvent de sa foi en public et il n’était pas à l’aise sur ce sujet. Il a eu des problèmes avec la hiérarchie catholique parce qu’il soutient le droit d’avortement, qui est contraire à la position du Vatican. Plus d’un évêque a déclaré que Kerry ne méritait pas de recevoir de la communion due à sa position sur cette question. Cependant, je ne crois pas que la religion est un facteur déterminant de sa politique, ni de celle du parti démocrate.

Par contre, la politique de George W. Bush et du parti républicain est de plus en plus influencée par le protestantisme évangélique. Pendant ces deux campagnes pour la présidence, et pendant son mandat, Bush a parlé ouvertement de sa foi. En 2000, il a déclaré que Jésus-Christ est son philosophe politique préféré, parce qu’il a « changé mon cœur ». Malgré le fait qu’il soit chrétien méthodiste, sa rhétorique envers la religion est véritablement œcuménique. Il fait très attention de ne pas faire des déclarations exclusives ou intolérantes envers d’autres religions. Il parle souvent du « Tout-Puissant » au lieu de « Dieu ». Il parle de la « culture de la vie » plutôt que « l’avortement ». Je crois qu’il possède un respect réel envers d’autres religions. Néanmoins, il est difficile de sonder ses croyances exactes sur la religion. Il n’est pas clair, par exemple, qu’il soit un véritable fondamentaliste, c’est-à-dire qu’il croit que la bible est littéralement vraie. En ce qui concerne sa politique et celle du parti, elle est devenue de plus en plus inspirée par le protestantisme évangélique. Les positions sur l’avortement, le mariage gay, l’enseignement de la théorie d’évolution, l’aide financière des services sociaux religieux et même la guerre en Irak sont fortement influencées par la religion. Plusieurs membres de son administration sont des évangélistes. Cependant, le soutien des chrétiens est à double tranchant. Maintenant, ils attendent une évolution sur ces questions, ce qui ne sera pas facile.


2. Les Influences de l’administration Bush – Quelles sont les influences intellectuelles du néo-conservatisme ? Quelles sont les croyances qui unifient l’administration Bush et qui définissent sa politique étrangère et interne ?

Le néo-conservatisme provient d’un petit cadre d’intellectuels, dont plusieurs ont maintenant atteint de hauts postes au sein de l’administration Bush. Selon leur logique, une tyrannie doit être combattue avant qu’elle devienne trop puissante. Les Etats-Unis en tant que seule superpuissance se doivent diriger le monde et se débarrasser des dictateurs. Les Américains ne devraient pas avoir honte d’utiliser la force militaire pour promouvoir la démocratie et d’autres idéaux. Plusieurs sont des juifs, qui voient l’holocauste comme le résultat de l’indifférence en réponse à des menaces croissantes. Ils soutiennent inébranlablement Israël et la politique d’Ariel Sharon. Par rapport aux conservateurs « sociaux » ou « économiques », les néoconservateurs ne se concernent pas trop de la politique interne, bien qu’il existe un soutien intellectuel mutuel entre ces factions du parti républicain. Les néo conservateurs sont préoccupés par le rôle puissant que l’Amérique devrait jouer pour promouvoir ses intérêts sur la scène internationale.

En ce qui concerne l’administration Bush, elle est guidée par plusieurs « conservatismes » selon le domaine. Chacun a ses propres défenseurs qui ne sont pas forcément homogènes dans leurs croyances. Si nous voulons déterminer les croyances fédératrices de l’administration Bush, il faut regarder plusieurs courants d’idées actuellement à la mode. La politique étrangère est musclée. La politique interne sociale est largement influencée par le protestantisme évangélique et leur définition étroite de la moralité. La politique économique est ancrée dans le courant libéral « supply side » et la conviction que les réductions d’impôts pourraient guérir toutes les maladies économiques. Bien qu’il soit difficile de résumer brièvement la gamme de ces convictions, ces sont des éléments fondamentaux de la mentalité de l’administration Bush.


3. La « Mission » Américaine et sa supériorité morale – Pouvez-vous faire des remarques sur la « mission » des Etats-Unis à répartir la démocratie partout dans le monde ? Qu’est-ce que vous inspire cette « mission » ?

L’esprit missionnaire n’est pas une invention de George W. Bush. Elle est née dans l’idée que l’Amérique est un pays exceptionnel qui a non seulement le droit mais l’obligation morale de répandre la démocratie et l’idéologie économique libérale partout dans le monde. Les racines de cette mission proviennent du caractère religieux de l’Amérique et la conviction que ces idées soient universelles. Les premiers colons d’Europe sont venus pour échapper la persécution religieuse, pour construire une « nouvelle Jérusalem » et une « ville brillant au sommet d’une colline » dans le nouveau monde. Après, les Américains sentaient que leurs idées méritent d’être diffusées au-delà de leurs frontières. Ainsi, cet esprit donnait naissance à une multitude de courants de la politique étrangère, y compris la doctrine Monroe, la destinée manifeste, l’impérialisme, l’endiguement et la guerre contre le terrorisme. Bien que l’Amérique soit un pays multiethnique et divers, ils ont conservé leur conviction que l’Amérique joue un rôle unique dans le monde, que certains croient accordé par Dieu. Cela ne veut pas dire que cette conviction est la seule et unique justification pour les interventions à l’étranger, mais il s’agit manifestement d’une composante essentielle.


4. Irak – La guerre en Irak a été justifiée par l’administration Bush comme une “libération” d’un peuple opprimé pendant des décennies. Le Président a dit qu’il voulait amener la « lumière » de la démocratie aux peuples partout dans le monde. En Europe, en France, une partie de la population a plutôt interprété cette intervention comme un acte délibéré pour obtenir des contrats pour « l’or noir » en Irak, que comme un geste désintéressé pour répandre la démocratie. Quelle est votre opinion ? Est-ce que la guerre est une guerre pour le pétrole ou est-ce que Bush croit sincèrement qu’il suit un « appel moral » ?

Je crois que les deux hypothèses sont vraies. D’ailleurs, nous avons vu d’autres justifications fournies par l’administration Bush pour la guerre in Iraq : les armes de destruction massives, la brutalité de Saddam Hussein envers ses propres citoyens, etc. Comme je viens d’expliquer, les Américains se voient comme des missionnaires pour la démocratie et pour le libéralisme économique. L’idéologie néoconservateur a joué un rôle très important, selon laquelle l’implantation d’une démocratie au Moyen-Orient, une île dans une mer de tyrans, servira comme exemple pour d’autres pays dans cette région. A travers du temps, les citoyens d’autres pays arabes se réclameraient aussi de la démocratie. Finalement, cette région deviendra un exemple brillant de démocratie et d’économie libérale. Bien que cette conception reste une fantaisie pour le moment, nous ne pouvons sous-estimer la force motrice de cette idée, surtout dans une région dotée d’un tel intérêt stratégique. Si les intérêts économiques furent présentés comme les seules raisons pour la guerre, les Américains ne l’auraient jamais supportée. Donc, la dimension morale reste une motivation importante parmi d’autres. Elle est à la fois une motivation et une raison pour l’intervention.


5. La religion civile – Quelques personnes ont remarqué que l’influence des néo-conservateurs et théo-conservateurs à la Maison Blanche, et leur rôle, définissant la politique américaine étrangère, est une violation du principe de la séparation de l’Etat de l’Eglise. Par exemple, George Bush a choisi un prêtre comme Ambassadeur Permanent des Etats Unis aux Nations-unies. Autre exemple : le Président a initié un programme qui va permettre de donner des millions des dollars aux institutions religieuses – dites « faith based ». Ces efforts, sont-ils des menaces à la séparation de l’Eglise et l’Etat aux Etats-Unis ?

Les Américains n’ont pas la même conception de la séparation de l’église et l’état qu’en France. Ce n’est pas une séparation absolue. Le premier amendement de la constitution interdit l’établissement d’une religion officielle de l’état, et garantit le libre exercice de la religion. Cela n’empêche pas des chevauchements éventuels entre les deux. L’Amérique a toujours mélangé la religion et la politique d’une manière qui est mal vue en Europe. En ce qui concerne les néo-conservateurs, la religion n’est pas un thème central de leur politique. Bien que néo-conservatisme puisse apparaître comme messianique, la religion n’est pas une source importante de leur idéologie. En ce concerne les théo-conservateurs, il est vrai que leurs idées ont influencé la politique de Bush. Mais ce n’est pas un changement radical par rapport à ce qui s’est passé avant. La conception de la séparation entre l’Eglise et l’Etat est différente. Le chevauchement entre les deux a toujours existé. La question devient à quel point le chevauchement est trop prononcé. Dans le cas de l’initiative « faith-based », Bush s’est servi des ordres exécutifs pour avancer ce projet, parce qu’il est peu probable que le Congrès aurait adopté une telle loi en violation du premier amendement. Ce n’est toujours pas une violation de la séparation entre l’Eglise et de l’Etat selon la conception américaine. C’est plutôt une question de degré.

En dehors des questions incises que GYAN France m’a posées, je veux ajouter plusieurs pensées. Contrairement à ce que pensent beaucoup de français, l’Amérique n’est pas à la racine de tout mal. Je trouve trop souvent que les Français confondent les actions de l’administration Bush avec la plupart des américains. Ceux qui sont les plus critiques sont souvent ceux qui n’ont jamais rendu visite aux Etats-Unis. Les médias français, comme les médias partout dans le monde, montrent ce qui est le plus sensationnel pour attirer le plus de lecteurs ou de spectateurs. Pour mieux comprendre les Américains, il vaut mieux y aller, parler avec eux et former ton propre opinion, non pollué par la propagande médiatique.

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