by Mohamed Louadi PhD.
Published on: May 14, 2004
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Nous continuons notre série consacrée à la fracture numérique, sujet de prime importance qui sera débattu au cours de la deuxième phase du Sommet Mondial sur la Société de l’Information (SMSI) qui se déroulera du 16 au 28 novembre 2005 à Tunis.

La manne pétrolière confère au monde arabe l'image d'une région riche et prospère d'un point de vue économique. Pourtant des constats tels que ceux exprimés sur le site de l’Ambassade des États-Unis au Maroc et repris deux ans plus tard par le rapport du PNUD a l’effet que la totalité du monde arabe a un PIB inférieur à celui de l’Espagne surprennent.

Au plan de la technologie, toutes les recherches, statistiques, et particulièrement, les récents rapports du PNUD sont unanimes et nous confirment que le monde arabe est loin d’être en avance en matière d’adoption des TIC.

Si aux États-Unis ou en Europe, une personne sur six utilise l’Internet, la proportion tombe à 1 sur 25 dans le monde arabe. Si les pays arabes les plus riches exhibent plus d’une ligne de téléphone par ménage, dans d’autres pays, il y en a moins qu’une par centaine de ménages.

En dépit du manque flagrant d’informations actualisées sur l’état des lieux en général et sur l’accès à l’Internet en particulier, tous les classements internationaux des pays confirment l’hypothèse que l’accès à l’Internet, et par extension, l’entrée des pays arabes dans l’arène du commerce électronique, sont lents. Les mêmes constats sont d’ailleurs faits en matière informatique. Un rapport de International Data Corp. avait examiné la dynamique de développement des logiciels d’entreprise et du commerce électronique dans la région pour constater que ces développements sont à forte majorité matérielle. Un autre rapport commandité par l’Agence de Promotion de l’Investissement (API) examinant le positionnement stratégique de la branche informatique avait conclu que la Tunisie avait un retard de sept ans dans le domaine.

Un bref aperçu historique

Depuis quelques années, il semble que le monde soit de plus en plus intéressé par l’avenir et le devenir du monde arabe. Au plan technologique, des instituts et organismes tels que International Data Corp. et le Programmes des Nations Unies pour le Développement, entre autres, ont jeté un regard exclusif à ce qui continue à être appelé la région «MENA».

Mais l’intérêt pour le monde arabe et ses développement technologiques a en fait commencé bien avant. A titre d’exemple, une étude publiée en avril 1999 par la division de recherche de Internet Al-Alam Al-Arabi (ou IAW, Internet Arab World), révélait que les consommateurs en-ligne avaient déboursé quelque 95 millions de dollars en 1998. Alors que la proportion des internautes arabes ayant effectué une transaction électronique était de 9% cette année là, le pourcentage n’était que de 4% en 1997. D’où l’impression d’un certain progrès en l’espace d’une année. Cependant, la majorité des achats (82%) s’étaient effectués sur des sites outre-atlantique dont Amazon.com. Le seul site de commerce électronique arabe jouissant d’un quelconque degré de popularité était Sakhr (www.sakhrsoft.com).

Un rapport publié la même année par DIT faisait état d’une augmentation du nombre d’Arabes ayant accès à l’Internet à partir de leur domicile atteignant ainsi 72%. En 1999, le nombre d’internautes arabes était estimé à 1,1 million. Certains calculs situaient ce nombre aux alentours de 8,2 millions à la fin de 2002 et, si la tendance se maintient, il devrait atteindre 25 millions en 2005.

Mais il y a peu de raisons d’être optimiste. En mars 2000, alors qu’il n’y avait que 1,9 million d’internautes arabes, DIT avait prévu qu’il y en aurait 12 millions à la fin de 2002. Cette prévision avait même fait craindre que l’infrastructure existante ne puisse supporter autant d’utilisateurs simultanément.

A la fin des années 1990, la situation n’était pas très encourageante malgré les progrès réalisés dans certains pays puisqu’en 1999, la conférence internationale arabe de télécommunications (AITEC’99)avait recommandé une action immédiate afin que la région puisse bénéficier du commerce électronique. Des chiffres révélés lors de cette conférence montraient qu’à peine 0,11% de la population arabe avait accès à l’Internet (comparés à 5% pour le téléphone). La conférence identifia les freins empêchant le développement du commerce électronique en terre arabe: une infrastructure de télécommunication inadéquate, des tarifs de connexion élevés, une faible prise de conscience de la part de la population et les milieux d’affaires et l’absence d’une politique de coopération claire entre les gouvernements et le secteur privé.

De son coté, le Arab Advisors Group publia un rapport en janvier 2001 basé sur une étude sur les pays du Golfe ainsi que la Jordanie et l’Égypte. Ce rapport laissa entendre que le commerce électronique arabe avait un avenir devant lui. Le rapport arriva à ce constat en examinant de près ce qu’il appelle les «piliers» du commerce électronique et leur développement dans la région étudiée. Ces piliers sont les niveaux de pénétration de l’Internet, le développement des infrastructures de télécommunication, les niveaux d’instruction et la généralisation des cartes de crédit.

Deux mois plus tard, en mars 2001, le nombre des internautes arabes était estimé à 3,54 millions par Ajeeb.com, soit une augmentation de 2 millions par rapport à l’année précédente alors que le nombre prévu était de 5 millions pour la fin 2001, de 8,2 millions pour la fin de 2002 et de 10-12 millions pour la fin 2002. L’Internet se développait plus rapidement aux EAU et à Bahreïn.

Qu’en est-il aujourd’hui?

Jusqu’à ce jour, aucun pays arabe n’a développé une capacité de commerce électronique comparable à l’Occident. La Tunisie, le premier pays arabe à s’être connecté à l’Internet en 1991 et le premier à légiférer sur les échanges et le commerce électroniques en août 2000, n’exhibe que des développements embryonnaires et ce, en dépit d’une stratégie volontariste de la part des autorités. L’effort de démocratisation de l’Internet ne s’est pas traduit par une visibilité internationale puisque la Tunisie n’a même pas été classée parmi les pays ayant des prédispositions pour le eBusiness par The Economist Intelligence Unit et n’a été classée que 95ème sur l’indice d’accès numérique lors du Sommet Mondial sur la Société de l’Information tenu à Genève en novembre 2003. Des 60 pays inclus dans la liste 2000 de The Economist, ne figurent que quatre pays arabes, notamment l’Arabie saoudite (40ème), l’Égypte (49ème), l’Algérie (57ème) et l’Irak (60ème).

La situation ne s’est pas améliorée au cours des années puisque les années suivantes (2001-2004), le classement des trois pays restants par The Economist avait soit stagné soit régressé, suggérant que d’autres pays dans le monde sont plus rapides dans leur développement technologique et que le fossé est en train de s’élargir au désavantage du monde arabe. A noter aussi qu’aucun autre pays arabe n’a été ajouté à la liste et que l’Irak disparaît à partir de 2001 et ce jusqu’à la publication du dernier classement du 16 avril 2004.

C’est le 19 novembre 2003 que l'Union internationale des télécommunications établit un classement universel des pays pour les TIC à l’occasion de la première phase du Sommet Mondial sur la Société de l'Information (SMSI). Le classement a été effectué pour un total de 178 pays selon l’indice d’accès numérique qui comprend huit variables couvrant cinq domaines, de manière à donner une image globale des résultats par pays. Ces cinq domaines sont l’existence d'infrastructures, l’accessibilité financière, le niveau d'éducation, la qualité des services TIC et l’utilisation de l'Internet en 2002.

Le premier pays classé a été la Suède avec un indice de 0,85, suivi du Danemark (0,83) et de l’Islande (0,82). Les États-Unis (0,78) apparaissent à la 11ème position, après le Canada et avant le Royaume Uni.

Le premier pays arabe à y apparaître, les Émirats Arabes Unis, occupe la 34ème position et 15 des 20 pays arabes sont classés derrière la 90ème position. Aucun n’a pu se hisser parmi les 25 pays ayant obtenu la mention «Excellent» (dont Israël). L’Irak et la Somalie sont totalement absents. L’Irak a même été identifié par l’UIT parmi les pays sous-développé où les progrès ont été les plus lents, notamment en ce qui concerne l’Internet et la téléphonie mobile; aucun progrès n’a été enregistré dans les autres TIC dans ce pays.

En somme, la situation générale est telle que les observations faites par Davison et al. à l’effet que la participation de plusieurs pays arabe en voie de développement à l’économie globale demeure insignifiante reste encore valable.

Et si les effets de l’Internet et du commerce électronique ont maintes fois été comparés à ceux du chemin de fer sur l’économie lors de l’ère industrielle, c’est que les risques de rater l’entrée dans l’ère de l’information sont élevés puisque les pays arabes risquent par la même occasion d’être mis en marge d’une partie grandissante de l’économie globale avec toutes les conséquences à long terme que cela pourrait impliquer.

Le défi n’est plus le changement semble-t-il, mais le fait qu’en matière de TIC, le changement n’est pas une constante puisque son rythme est de plus en plus rapide. Il ne s’agit donc plus d’avancer, mais d’avancer plus rapidement que les autres. Sans parler de ceux qui stagnent, la différence entre ceux qui avancent le plus rapidement et ceux qui avancent le moins rapidement est justement ce qui définit le fossé numérique, qui, au delà d’un certain point mène inéluctablement à la fracture.




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