by Youths Ahead!
Published on: Oct 9, 2008
Topic:
Type: Opinions

Ils s’appellent Wilfried et Ferdinand. Personne ne se souvient d’eux aujourd’hui, pourtant cela fait cinq mois seulement qu’ils sont tombés dans les rues de Douala, fauchés par les balles des forces de l’ordre. Des noms de jeunes qui sont allés mourir dans l’anonymat comme ceux de ces héros nationaux enterrés loin de la splendeur des palais de marbre où se maintiennent les pires tyrans africains. Plus de quarante années après les indépendances fêtées dans l’allégresse des promesses de liberté et de souveraineté, les désillusions ont accompagné l’appauvrissement du continent, avec et toujours le meme goût amer. Le néocolonialisme, couvert par des noms d’emprunt tels que la coopération, la francafrique et l’amitié, a fait et défait les rois africains au gré de nombreux intérêts, piétinant au passage avec mépris les volontés des peuples. Durant des décennies, l’Afrique n’a été que l’ombre d’elle-même, déchirée par les influences occidentales, emprisonnée dans la spirale des luttes fratricides au nom souvent de cette liberté que l’on s’empresse de bâillonner au contact de cet opium qu’est le pouvoir.

En marchant du coté de Douala, il est étonnant de remarquer que les rues sont hantées par les « fantômes des autres », de ces personnages venus d’ailleurs et qui furent pour la plupart les fossoyeurs de ce continent. « Avenue Charles De Gaule », « Boulevard Sarvognan de Brazza », « Rue Foch », « Avenue Kennedy » , tous ces noms prestigieux qui ont mis l’Afrique à sang et à feu avec le résultat que l’on connaît : liberticides et génocides. Le drame africain n’est pas celui dénoncé à Dakar, c’est celui d’avoir continué son assimilation au-delà de la colonisation. D’avoir cru se libérer des chaînes de l’aliénation pour mieux s’engluer dans une mentalité cannibale qui égoïstement a fragmenté la société africaine en strates d’individualisme où l’on ne veut pas voir son frère atteindre le même bonheur que l’on s’offre à soi-même. Quand les balles ont fusé ce mois de février dans les ruelles de Douala, criblant les poitrines de jeunes manifestant contre la pauvreté et criant leur angoisse, c’est l’espoir de toute une nation que l’on a tué. Et ce sang qui a souillé cette terre deja rougeâtre, est allé nourri les frustrations des nouvelles générations. Qu’importe les discours de rupture de la bouche de ceux là qui vont rendre ensuite hommage aux dinosaures africains, dans les beignetariats de New-Bell où se réunissent les jeunes des quartiers populaires, autour d’une bouillie infecte qui donne malgré tout plaisir à boire, l’on ne se soucie plus guère de cette macabre comédie dont les meilleures représentations se font dans les conférences internationales.

Les années succèdent aux années, tandis que les marchés de Douala deviennent de vraies porcherie à l’image de toute la ville, les mêmes dirigeants se succèdent à eux-mêmes lors de consultations électorales qu’ils organisent à l’africaine selon le bon mot d’un Pascal Lissouba à son firmament à l’époque. Une tradition bien ancrée dans les mœurs et ce depuis les années de guerre froide jusqu’à l’avènement du multipartisme dès 1990. Imposé par le sommet de la Baule, le multipartisme n’est venu multiplié que la misère des peuples, mais aussi le nombre d’affamés, pseudo politiciens, faussement légitimes qui exploitent la faim des populations pour assouvir leurs ambitions. Au travers d’incessants tripatouillages constitutionnels, les pères de la nation et autres démagogues se sont offerts l’éternité et la démesure. Une démesure qui défile indécemment dans les avenues de Douala au volant des voitures les plus onéreuses, dévalisant les magasins de luxe et s’offrant des séjours paradisiaques dans ces pays où viennent être brûlés les pensions de retraites de milliers de camerounais.

Douala est une ville magnifique avec sa pollution sauvage et son insalubrité grandissante. Pétillante et vivante, la nuit ici les chats deviennent gris, et elle s’impose comme le carrefour des folies africaines. Rebelle à l’ordre, à l’autorité mais aussi au changement, Douala aspire à un statu quo qui plait aux plus fortunés, aux oligarques, aux détrousseurs de vies et autres imposteurs. Pour cette écrasante population asphyxiée par le dénuement matériel le plus impressionnant et parquée dans ces quartiers populaires où se conjugue douloureusement le présent, Douala est un vaste cimetière ouvert dont la puanteur incarne parfaitement tout l’état de décomposition des sociétés africaines. Lorsque à Bonanjo on dira que la vie est belle, à Bonamoussadi on répondra « ah bon ? laquelle ? », c’est dire que la fracture sociale est immense et l’injustice monnaie courante. La liberté a un prix, trop souvent élevé pour les troubadours des grands idéaux. Comme partout en Afrique, on y massacre les journalistes sérieux , et on laisse pour sauver les apparences quelques serfs qui propagent la parole divine gouvernementale, souvent en distrayant les masses par des exclusivités tirées du caniveau.

Ils s’appellent Wilfried et Ferdinand. Ils étaient descendus dans la rue pour exiger la fin de la précarité et la revalorisation de leurs conditions de vie. Ils sont partis définitivement, eux qui se considéraient comme la jeunesse africaine sacrifiée, victimes parmis tant d’autres de la cruelle perversité des democraticides africaines. Ils sont partis anonymement un jour de février, à Akwa, loin des flashs et la lumière des cameras. Sans fleurs ni couronnes.


« return.