by Youths Ahead!
Published on: Jun 15, 2008
Topic:
Type: Opinions

Il y a quelques jours, Myriam a été retrouvée morte dans sa chambre. A coté de son corps inerte, se trouvait un flacon de comprimés entièrement vidé. C’était une adolescente qui allait encore au collège à Bonamoussadi[1]. Personne n’a rien vu venir. En guise d’adieu, elle a laissé une lettre à ses parents dans laquelle elle tentait d’expliquer son geste. D’expliquer l’inexplicable.

« Une personne met fin à ses jours toutes les 40 secondes. Aucun pays n’est épargné »[2]. Un constat froid et inquiétant, car s’il y a un mal qui ronge dans le silence, c’est le suicide. On n’arrive difficilement à le cerner et quand il se manifeste, il est malheureusement trop tard. C’est donc une urgence que de se plancher sur ce phénomène[3] qui loin d’être exclusivement occidental comme l’on a tendance à le penser en Afrique[4], touche d’une manière universelle toutes les zones géographiques[5], les couches sociales[6], des jeunes aux adultes[7].


Le suicide[8] est « l'acte délibéré de mettre fin à sa propre vie ». Dans le jargon médical, on parle aussi d’autolyse[9]. Selon les estimations de l’Organisation Mondiale pour la Santé (OMS), le nombre de décès dus au suicide pourrait passer à 1,5 million d’ici 2020. Face à l’ampleur du phénomène l’OMS a décidé de consacrer à cette urgence une Journée mondiale de prévention du suicide organisée le 10 septembre[10]. En Afrique, la question du suicide est très vite éclipsée par la brutalité et la profusion des conflits fratricides, sans doute parce que le suicide tue loin des cameras et du sensationnel, à l’abri des regards qui n’osent voir et des voix qui préfèrent se taire, par pudeur ou par honte. C’est donc un sujet tabou dans son essence mais aussi dans sa manifestation. De nombreuses coutumes considèrent que le suicide est une malédiction ou un acte de sorcellerie[11]. Couramment, l’on parle d’ « accident » pour dire « suicide ». Le mot est banni dans de nombreuses familles. Quelques fois, il n’existe même pas. D’où l’extrême difficulté d’obtenir des statistiques officielles. En dehors de rares exemples médiatisés, retrouvés dans la rubrique « fait divers » des journaux africains, le suicide est passé sous silence, et n’intéresse guère les responsables politiques qui semblent avoir d’autres préoccupations.

A l’heure où l’occident confronté à une série de suicides collectifs chez les adolescents, à des initiatives plus individuelles chez des personnes broyées par la pression du travail, s’active et met en place des structures capables d’anticiper, de prévenir et de répondre à ces détresses humaines, l’Afrique se réfugie derrière un lourd tabou caractérisé par une opacité indicible et un refus clair de communiquer sur un problème majeur. Pourtant, le suicide affecte les familles africaines, en particulier des adolescents qui quelques fois semblent perdus dans la quête de leur identité[12]. Si après les indépendances, la plupart des anthropologues convenaient que le suicide était presque absent en Afrique, de même que dans les sociétés islamiques traditionnels, l’on peut penser que sa présence, en ce qui concerne l’Afrique francophone, soit liée au progrès économique et social des années 70 et 80[13]. Ainsi, il serait la résultante de l’émergence des facteurs économiques (le chômage[14], la pauvreté[15]) et socio-demographiques (chez les moins de trente ans par exemple, la carence parentale, les abus de drogues et d’alcool, maladies graves, la solitude). La culture reste un facteur déterminant, au travers de bouleversements et de pressions psychologiques[16], dans l’adoption de comportements suicidaires. En effet, l’infertilité ou la fornication (la perte de virginité avant le mariage chez les jeunes filles) dans des sociétés africaines à la fois imprégnées de valeurs traditionnelles et religieuses, n’est pas simple à assumer. Afin d’éviter la honte (le déshonneur familiale par exemple), la mort – le suicide – est souvent une alternative.

D’un autre coté, il est à souligner que depuis qu’elle court après le modernisme néolibéral, l’Afrique a sacrifié sur l’autel de l’individualisme, son esprit de solidarité et de fraternité. Alors, l’affaiblissement du soutien social naguère l’une des caractéristiques du continent, ne permet plus la protection contre l’éventualité du suicide. Les hommes sont désormais des îlots, et les jeunes en détresse se retrouvent trop souvent seuls et face à eux-mêmes. Le suicide ici n’est pas ritualisé comme au Japon, du moins dans la culture samouraï. C’est un acte considéré dans la plupart des familles comme une souillure, quelque chose d’impropre et de malsain.


Seulement en Afrique, chaque décès par suicide a des conséquences dévastatrices du point de vue affectif, social et économique pour d'innombrables familles. Il s'agit d'un problème de santé publique majeur[17]. Certaines ONGs locales ont récemment constaté un accroissement alarmant[18] des comportements suicidaires chez les jeunes africains de moins de trente ans. Cette recrudescence a pour origine la virulence de la pauvreté et de la précarité, la perte d’un être cher, les disputes, une rupture amoureuse ou des ennuis personnels. Quelques fois, pour les jeunes actifs, les difficultés professionnelles, la discrimination, incluant l’exclusion, le rejet par autrui et le sentiment d’injustice sociale. Dans certains cas, l’on trouve l’isolement social, l’échec académique ou scolaire, les sévices sexuels (surtout en milieu carcéral). Les moyens les plus couramment utilisés pour « en finir » sont multiples et variés, des pesticides aux les armes blanches (couteaux, lames, ciseaux etc.), en passant par la pendaison et les médicaments comme les analgésiques, toxiques en doses excessives.

Le malaise tend à prendre de l’ampleur. Se manifestant souvent très tôt dans la vie et dans la plupart de cas à l’adolescence[19], le comportement suicidaire est un cheminement long qui va de l’intention à la destruction de soi (ou à la tentative de destruction). Agressivité, sautes d’humeur, désintérêt pour presque tout, repli sur soi etc. sont des signes avant-coureurs auxquels il est important de prêter la plus grande attention. Et il est important de voir dans la « crise suicidaire »[20] un besoin d’exprimer un mal-être et de faire disparaître la cause de la tristesse ou la douleur (souffrance)[21]. Dans une Afrique où la jeunesse tend difficilement à s’émanciper du poids des traditions, allant s’enfermer dans l’occidentalisation à outrance des comportements, sans repères, elle est victime de l’internationalisation et la sublimation du « spleen »[22].

Il existe de nombreux moyens de protection et de prévention du suicide. On peut mentionner « l’éducation, l’estime de soi et les liens sociaux, surtout avec la famille et les amis, l’existence d’un appui social, une relation stable et un engagement religieux ou spirituel ». Il est impératif que le suicide ne soit plus le dernier grand tabou africain en levant l’omerta sur ce phénomène qui est un frein au développement de l’Afrique. Libérer la parole est le premier moyen de lutte contre le suicide, une reconnaissance franche de la part des responsables politiques est nécessaire d’autant plus qu’elle permettrait de réfléchir sur la mise en place de programmes de prévention et d’anticipation. Une telle reconnaissance favoriserait une formation d’« agents de santé primaires à l’identification et au traitement des personnes présentant des troubles de l’humeur peut contribuer à réduire le suicide chez les personnes à risque ». La possibilité de s'adresser en permanence à « un service de type “S.O.S suicide” en cas de détresse ». Les « campagnes de préventions en milieu scolaire, l’attention des éducateurs, le personnel pénitentiaire, les rescapés des tentatives de suicide ou les familles endeuillées par le suicide et la responsabilité des medias »[23] sont des facteurs pour limiter voire éradiquer le suicide au sein de la jeunesse africaine. Il faut d’urgence intensifier et coordonner l’action au niveau du continent pour éviter ces morts inutiles. Et le départ prématuré de jeunes dont l’Afrique a le plus grand besoin.

Le suicide en Afrique, particulièrement chez les jeunes africains est une question cruciale pour le développement du continent. Il constitue l’un des derniers tabous africains, même s’il n’est pas aussi ravageur que certaines pandémies (VIH/Sida, paludisme, tuberculose) qui touchent le continent. Il n’en demeure pas moins qu’il demeure préoccupant.


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[1] Un quartier de Douala, Cameroun.
[2] Statistique de l’OMS.
[3] L'Algérie enregistre annuellement une moyenne de 500 tentatives de suicide, selon les statistiques des services de la Protection civile. En 2007, 244 cas et 324 tentatives de suicide ont été dénombrés, alors qu'en 2006, il a été signalé 210 cas et 449 tentatives.
[4] Les tentatives ou menaces de suicide représentent 10% des causes d'admission dans un service de psychiatrie pour enfants, chez les enfants âgés de 10 à 15 ans à Johannesburg Afrique du Sud (South African Journal – 1984).
[5] Bien que considéré comme un péché capital par l'islam, le suicide est en passe de devenir une échappatoire pour beaucoup d'Algériens, notamment les jeunes désespérés.
[6] «Jusqu'à présent, je n'arrive pas à admettre et à comprendre pourquoi mon fils, Brahim, s'est suicidé. Il était un musulman pratiquant. Matériellement, il ne manquait de rien. Il avait tout pour être heureux : un appartement, une voiture et un poste de travail stable. Aucun signe apparent n'indiquait qu'il allait se donner la mort», témoignage recueilli en Algérie après l’annonce du suicide d’un jeune algérien. – Samia Kaci (Midi Libre).
[7] « Depuis les chocs pétroliers, le suicide des jeunes augmente et celui de leurs aînés se maintient ou diminue. C'est sans doute le constat le plus grave » - Christian Baudelot and Roger Establet in Suicide, l’envers de notre monde, Le Seuil, Janvier 2006.
[8] du latin sui caedere, se tuer soi-même.
[9] du grec auto-, soi même, et -lyse destruction
[10] Comme le soulignait deja l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) en 2000, « 1 million de personnes sont particulièrement concernés par le suicide». Aujourd’hui, la situation est encore plus alarmante, car on estime que « 10 à 20 fois plus ont fait des tentatives de suicide à travers le monde. Ceci représente en moyenne une mort toutes les 40 secondes et une tentative toutes les 3 secondes ». Ainsi, le constat doit être fait qu'il y a plus de morts par suicide que de morts provoquées par tous les conflits armés à travers le monde.
[11] Tout dépend du niveau de religiosité des familles, dans celles qui sont chrétiennes on parle de malédiction et pour celles qui sont plus animistes, on parle de sorcellerie.
[12] De nombreux cas de suicides ont été signalés en 2007 au Cameroun concernant de jeunes homosexuels.
[13] « Le suicide accompagne les mouvements de la société. Il est en hausse lors des crises économiques, en baisse pendant les guerres. Il a crû avec le développement industriel du XIXe siècle, mais diminué avec l'expansion économique du XXe. » - Christian Baudelot and Roger Establet in Suicide, l’envers de notre monde, Le Seuil, Janvier 2006.
[14] « Le chômage tue : D'après les services de la sûreté nationale, l'esprit suicidaire est constaté plus parmi les personnes défavorisées. 63% des suicidés sont sans profession, 8% exercent une activité libérale et 6% sont des étudiants algériens. » - Samia Kaci (Midi Libre)
[15] « Il est judicieux de lever le voile sur deux nouvelles formes de suicide en Algérie auxquelles recourent les kamikazes et les harragas (ces candidats à l'émigration clandestine mettent leurs vies en péril en quête de cieux cléments. En 2007, 1.644 harragas ont été arrêtés par les gardes-côtes. Comparativement aux années précédentes, ce phénomène est en progression. En 2006, 750 jeunes ont été interceptés contre 327 en 2005.) – Samia Kaci (Midi Libre).
[16] Le mariage forcé chez les jeunes filles africaines est également une parfaite illustration de cette pression psychologique.
[17] On estime que le nombre de tentatives de suicides y est 5 à 10 fois plus élevé que le nombre de décès par suicide et ces tentatives entraînent souvent des hospitalisations et des traumatismes physiques, affectifs et mentaux même si on ne dispose pas de données fiables sur l’étendue du phénomène.
[18] Comparé à d’autres régions du monde on considère cet accroissement encore très bas, mais inquiétant dans le long terme.
[19] Comme l’ont fait remarqué certains spécialistes, c’est au cours de l'adolescence que les jeunes, qui subissent de nombreuses transformations physiques et psychologiques, expérimentent le doute et dans le même temps un sentiment de toute puissance.
[20] Certes, si l'on admet dans la crise suicidaire la présence d'un événement déclenchant (traumatisme, viol, rupture, deuil, déception amoureuse), celui-ci vient réveiller un mal-être antérieur plus profond qui s'est déjà exprimé dans un faisceau de manifestations préalables, comme autant de signes d'appel non repérés.
[21] Ainsi chez l'adolescent, la mort est rarement souhaitée.
[22] La nausée de vivre.
[23] Comme l’a ajouté le Dr Saraceno, « Il apparaît aussi que les comptes rendus dans les médias peuvent encourager le suicide par imitation et nous demandons instamment aux médias de faire preuve de la sensibilité voulue dans leur façon de traiter ces décès tragiques et souvent évitables. Les médias peuvent aussi jouer un rôle majeur pour réduire l’exclusion et la discrimination associées aux comportements suicidaires et aux troubles mentaux. »


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